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COVID-19 : le jour d’après☆ COVID-19: The day after « La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir » Pierre Dac. Quelles traces garderons-nous dans nos vies personnelles et nos pratiques après le passage du coronavirus SARS-CoV-2 ? Les grandes épidémies récentes ont plutôt sombré dans l’indifférence : le SARS-CoV, devenu numéro 1 depuis l’arrivée de son petit frère, a fait près d’un millier de morts, mais en partie sauvé les civettes, qui semblaient en être le réservoir intermédiaire, d’un trafic international vers la Chine. C’était entre 2002 et 2003, et c’était loin, déjà dans une province chinoise. Ebola a fait frémir la planète mais ce virus est tellement mortel qu’il éteint lui-même l’incendie qu’il a allumé, une fois qu’il a tué tous ceux qui pouvaient le propager. Qui se souvient du MERS-CoV passé par les dromadaires et qui a menacé la péninsule arabique en 2012 ? Qui même connaissait le pangolin, animal le plus menacé au monde en raison d’un gigantesque trafic depuis l’Afrique car sa chair est prisée en Asie et ses écailles censées donner plus de virilité aux hommes1  ? La pandémie actuelle a envahi la planète avec une fulgurance inimaginable depuis la grippe dite espagnole, et elle va probablement étendre encore plus largement son voile de mort sur tous les pays au réseau sanitaire peu développé et où règnent pauvreté et promiscuité. Il y aura donc obligatoirement un avant et un après le Covid-19. Nous serons ainsi collectivement et individuellement longtemps frappés par ces images d’épidémie à la progression inéluctable, de sociétés figées et d’hôpitaux surchargés où les vivants s’entassent dans les couloirs et les morts dans les camions réfrigérés. Beaucoup seront touchés par des deuils cruels, des séquelles irréversibles laisseront la trace du passage du virus chez certains d’entre nous, de nos proches ou de nos connaissances, des entreprises en détresse n’en réchapperont pas, une crise économique sans précédent marquera probablement la décennie à venir. Mais, probablement, notre regard vis-à-vis des autres changera aussi profondément. Habitués jusqu’à présent à une certaine insouciance, à des contacts humains plus ou moins rapprochés, à accepter d’attraper rhumes et grippes, au point de juger inutile de nous vacciner2 , à examiner sans arrière-pensée nos patients à la lampe à fente, leur serrant aimablement la main à leur entrée dans nos bureaux, nous avons été ébranlés dans notre légèreté et à jamais touchés un jour de février 2020, alors qu’on ne parlait encore que d’un vague virus à l’autre bout du monde, que des chauves-souris avaient peut-être transmis à des animaux bizarres dans un marché exotique d’une ville dont peu de gens connaissaient même l’existence. Le 6 février 2020 mourait en effet le docteur Li Wenliang, à l’âge de 34 ans, de cette maladie qu’il avait été un des premiers à identifier à Wuhan, le premier à la dénoncer publiquement. Les autorités l’avaient considéré comme un traître à la nation, et avaient voulu le punir avant de finir par le réhabiliter. Il laissera derrière lui l’image d’un héros méconnu et injustement rejeté, ainsi que l’enfant que portait son épouse avant qu’il ne décède. Mais le Dr Li était aussi un ophtalmologiste et cette perte nous montre que notre pratique nez à nez, bouche à bouche ou presque, avec des patients qui ne se privent pas de tousser, parler ou juste respirer à quelques dizaines de centimètres de notre visage doit se modifier en profondeur. Même une fois passée la crise, même si nous disposons un jour de médicaments, voire de vaccins, notre propre regard sur les autres aura certainement changé. Comment ne pas voir un danger caché en serrant des mains, en examinant de près des gens, en les touchant, en allant même faire nos courses ou en nous déplaçant en avion, train, bus ou métro ? Les règles d’hygiène que nous nous imposions déjà, solutions hydro-alcooliques, lingettes désinfectantes, seront plus que jamais indispensables, et seront autant nécessaires pour nous protéger qu’elles seront réclamées par les patients. Comme pour les masques, qui après s’être imposés comme une nécessité deviendront peut-être une habitude, il faudra de grandes quantités, un renouvellement constant des stocks et une utilisation large, sous peine de danger pour nous-mêmes ou de sanction par nos interlocuteurs. Leur propre regard changera certainement aussi. Une fois sortis de leur confinement ils verront forcément en nous des vecteurs potentiels, tel le pangolin africain. Les salles d’attente pleines ne seront plus acceptables, chacun suspectant chez son voisin le spectre de la peste virale. On observe déjà ce mouvement avec ces bons citoyens qui applaudissent les soignants mais n’en veulent pas dans leur immeuble, et rappellent tant des époques que l’on croyait révolues. On voit bien que les malades ne se déplacent plus, qu’ils ne viennent plus aux urgences, qu’ils ne viennent plus se faire soigner, ce qui sera aussi une de nos préoccupations du jour d’après, celui où tous les mal soignés arriveront en masse avec des DMLA dépassées ou des décollements de rétine irréversibles. Comment d’ailleurs devrons-nous nous adapter à accueillir et à soigner une population âgée qui aura été protégée par le confinement, qui sera donc vierge vis-à-vis du virus mais qui devra à un moment ou un autre sortir… sans aucune protection ? Des masques pour tous ? Oui mais pour combien de temps ? Nous devrons sans nul doute adapter aussi nos pratiques : une barrière mécanique sur nos lampes à fente nous rassurera, de même que les solutions hydro-alcooliques et les lingettes, nous espacerons les sièges dans nos salles d’attente, essaierons d’aller encore plus vite. Mais les consultations de masse, les examens classiques pourront-ils être pratiqués de la même manière qu’avant, quand nos regards pleins de suspicion mutuelle se croiseront ? Les tenants de l’intelligence artificielle et de la télémédecine y verront à juste raison une belle opportunité de faire avancer la médecine et ses pratiques. Les plus grandes guerres ont vu l’émergence de grand progrès médicaux. Pas d’implants sans la bataille d’Angleterre, pas d’échographie sans la guerre sous-marine, ou alors beaucoup plus tard… Il est certain que cette maladie et la marque profonde qu’elle laissera dans les relations interhumaines seront une occasion de revoir notre organisation de soins : faire déplacer le minimum de gens, surtout dans la population âgée, sera un vrai enjeu. Ainsi pourront se développer, entre autres, la pratique à grande échelle de rétinographies dans toutes les structures de soins, EHPAD en particulier, la mise en place de systèmes d’autoévaluation de la réfraction (les machines existent déjà mais avaient peu de débouchés), avec télé-expertise, et mieux encore algorithmes auto-apprenant pour débusquer les maladies. Le suivi des patients pourra se faire à distance également en recourant à un expert qui pourra de loin donner un avis et décider si le patient a besoin de venir ou non en milieu spécialisé. Encore faudra-t-il recruter des troupes de première ligne pour ces soins minimalistes de proximité. Mieux encore, des logiciels sophistiqués permettront aux patients de décrire antécédents et symptômes sur des questionnaires en ligne et à des robots informatiques de formaliser une sorte de patient virtuel qui sera ensuite confronté à la réalité clinique, permettant au système auto-apprenant d’améliorer sa fiabilité. C’est le deep learning du monde de l’intelligence artificielle qui est déjà à la porte de nos bureaux et à un clic de nos ordinateurs. Une telle pandémie ne peut qu’accélérer le processus et un bon nombre d’exemples sont déjà en place ou le seront dès demain. Des questionnaires sophistiqués sont déjà opérationnels, des jeux sur smartphone permettent déjà de repérer des anomalies visuelles et d’alerter en cas d’aggravation. Autant de consultations de suivi simple ou de pathologies mineures rendues inutiles. Inutile en effet de faire venir des gens pour des pathologies stables qui peuvent être évaluées à distance ou des maladies bénignes diagnostiquables sans examen approfondi. L’intelligence artificielle pourra reposer sur un double réseau de questionnaires de plus en plus sophistiqués et précis et de rétinographes déployés dans tous les centres de soins : un technicien, une photo, de l’intelligence artificielle qui repèrera un trouble des milieux, des maladies de la rétine ou du nerf optique, et fera même au passage un diagnostic fiable de maladie cardiovasculaire ou d’Alzheimer débutant ! Le but sera de maintenir à distance ceux qui peuvent l’être, et de ne faire venir que ceux qui en auront besoin pour un avis spécialisé, un soin au laser, une chirurgie ou une injection intravitréenne. Le modèle économique s’en ressentira nécessairement : il faudra rémunérer spécifiquement et valablement techniciens et experts, le maillage territorial des ophtalmologistes auquel la France est restée si attachée devra certainement être revu. Et le risque sera de précipiter notre médecine, par distanciation volontaire et hyper-technicité, vers un mode froid où les relations humaines perdront une large part de leur force. Espérons que la face sombre de ce tableau ne se réalise pas totalement, que les outils qui sont en train d’être développés et mis en place le seront avant tout au bénéfice de notre efficacité, de la qualité de nos soins et d’une amélioration de la prise en charge globale de nos patients. Avant le jour d’après-demain, nous devons aussi nous préparer à demain, la période où les patients non traités viendront avec leurs angoisses et leurs pathologies, le jour où les patients sauvés grâce à l’abnégation de nos collègues et des soignants de première ligne seront sortis de réanimation et viendront consulter pour des pathologies oculaires laissées au second plan : cornées ulcérées voire infectées, maladies thromboemboliques ou inflammatoires multisystémiques, neuropathies et autres uvéites auxquelles nous ne nous attendons pas mais auxquelles nous devons nous attendre. Et puis les prévisionnistes du futur se sont si souvent trompés, et d’une certaine manière tant mieux si grâce à cette terrible expérience, nous devenons meilleurs sur le plan technique, plus efficaces, bénéficiant de nouveaux outils, mieux protégés car plus avertis (ou plus méfiants), tant mieux aussi si nous parvenons à soigner plus de gens à distance, tout en gardant le lien humain, la volonté d’aider les autres, même au risque d’être nous-mêmes contaminés, cette volonté qui a probablement forgé notre vocation lorsque nous avons décidé d’être des médecins. Pierre Dac avait raison, difficile de prédire le futur, il reste que la nature humaine garde ses grandeurs et ses médiocrités, que même si le jour d’après changera bien des choses, une fois passée l’émotion, beaucoup de bonnes et mauvaises habitudes reprendront leurs droits, comme en témoigne ce constat affligeant : la douane de Malaisie a saisi le 31 mars 2020 à Port-Klang, en Malaisie, 6,16 tonnes d’écailles de pangolins d’une valeur estimée à 17,9 millions de dollars. Le monde entier connaîtra probablement le pangolin, mais il n’est même pas sûr que les leçons des épidémies et les centaines de milliers de morts humaines qui sont à craindre sauveront… les pangolins. Déclaration de liens d’intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. ☆ Retrouver la première publication de cet article https://www.sfo-online.fr/actualites/covid-19-le-jour-dapres-regards-croises-de-lophtalmologie. 1 Après une recherche approfondie, aucune étude randomisée sérieuse n’a pu être trouvée par l’auteur pour établir la réalité de cette propriété pharmacologique. 2 L’auteur de ces lignes s’est fait vacciner en 2019 contre la grippe.

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